mai 13, 2014

AAC Professionnels du droit en Afrique – Revue Politique africaine

Ci-dessous (et en pièce jointe) un appel à contributions pour un dossier thématique de la revue Politique africaine sur les professionnels du droit
en Afrique, prévu pour juin 2015.
Date limite pour la réception des propositions : 13 juin 2014.

Appel à contributions pour Politique africaine – mai 2014

Professionnels du droit et pratiques juridiques sur le continent africain : Héritages coloniaux et dynamiques d’internationalisation
Dossier coordonné par Sara Dezalay (Goethe Universität) et George H. Karekwaivanane (Cambridge University)

Au cours des dernières décennies, les mobilisations du droit dans les pratiques politiques contemporaines des États africains se sont accrues de
manière spectaculaire. Portés par des évolutions politiques internes autant que des dynamiques internationales, le tournant démocratique et la
promotion de la « société civile » ont contribué à transformer le politique tout en renforçant l’importance du droit en tant que ressource de
contestation et de légitimité dans des luttes politiques et sociales, notamment via la multiplication d’organisations non gouvernementales (ONG)
spécialisées dans la défense des droits (Comaroff & Comaroff, 2006).
Cependant, la majorité des travaux consacrés à ce « tournant vers le droit » de l’après-Guerre froide a tendance à déconnecter ces transformations
globales à la fois de leurs ancrages locaux ainsi que des processus historiques plus longs de formation de l’État dans lesquelles elles s’inscrivent. Surtout, le rôle joué par les juristes dans ces processus – et la transformation corrélative des professions juridiques – reste en grande partie un point aveugle. S’il existe une littérature riche sur les professions juridiques en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique latine et plus récemment en Asie du Sud-Est, les professionnels du droit sur le continent africain et leurs contributions à la formation de l’État et à ces transformations contemporaines ont été largement ignorés par la recherche (hormis quelques exceptions : Gobe, 2013; Halliday, Karpik et Feeley 2012).
Ce dossier thématique de Politique africaine vise à apporter un éclairage sur les rôles joués par les professions juridiques dans les dynamiques de
formation de l’État ainsi que dans ces transformations contemporaines du politique sur le continent africain. Deux dimensions retiennent
particulièrement notre attention. Il s’agit, d’une part, de l’historicité des professions juridiques et notamment du poids des héritages coloniaux
dans leur structuration. Mettre en lumière le rôle des professions juridiques dans la formation de l’État et certaines transformations
contemporaines du politique implique, d’autre part, de les étudier à l’aune de deux dynamiques : celle des espaces de pouvoir nationaux – politiques,
sociaux, économiques – dans lesquels elles se sont structurées, ainsi que de certaines dynamiques externes actuelles – promotion de l’État de droit,
poursuites pénales internationales, etc. –, contribuant à transformer les pratiques et institutions juridiques et leurs rapports au politique.
Les travaux récents consacrés au rôle du droit dans les politiques impériales ont souligné la spécificité des contextes africains ainsi que
les variations entre les différents systèmes juridiques coloniaux (par ex. Ibhawoh 2013; Benton 2002; 2013). Ils ont également ouvert une
interrogation quant à l’impact de l’ordre colonial sur la structure des systèmes, institutions et professions juridiques dans l’Afrique
postcoloniale. L’instrumentalisation du droit et des institutions juridiques à des fins politiques, y compris de violence, dans certains
contextes souligne en particulier l’incidence de ces héritages sur les rapports entre droit et politique et, partant, entre juristes et pouvoir.
Ces pratiques de « lawfare » (Comaroff, 2001) mettent notamment en exergue les enjeux spécifiques de la professionnalisation et de l’autonomie
juridiques dans des contextes autoritaires et/ou d’effondrement de l’État de droit. Par ailleurs, certaines dynamiques actuelles de globalisation du
droit – y compris le rôle croissant des tribunaux pénaux internationaux et la criminalisation des violences d’État et armées – s’accompagnent d’une
prolifération d’arènes et leviers de contestation du pouvoir (Sikkink, 2011). Comment ces dynamiques d’internationalisation sont-elles articulées
aux héritages laissés par l’ordre juridique colonial (Dezalay & Garth, 2010) et avec quels effets sur le rôle des juristes dans ces processus ?
Ces dynamiques sont-elles, en retour, affectées par l’évolution des pays africains en tant que sociétés plus ou moins extraverties (Bayart, 1999) ?
Ce dossier vise à explorer de telles questions en portant la focale sur les juristes et professionnels du droit et leurs divers rôles en tant qu’intermédiaires, courtiers internationaux ou encore entrepreneurs de normes. Son objectif est de contribuer à une analyse comparative des professions juridiques sur le continent africain et ce sur la base d’approches disciplinaires multiples (droit, histoire, anthropologie, sociologie politique et relations internationales). Étant donnée l’importance accordée dans la littérature existante aux anciennes colonies britanniques, les analyses consacrées aux anciennes colonies françaises, portugaises ou encore belges semblent particulièrement opportunes. Des méthodologies et échelles d’analyse variées sont également bienvenues, y compris des études de cas consacrées à des pays ou des institutions donnés, ou encore des analyses de processus de diffusion transnationale de normes, d’agents, de pratiques professionnelles ou d’institutions.

Nous proposons quatre axes qui demeurent largement ouverts et en grande partie imbriqués :
(1) les héritages coloniaux et leurs effets contemporains sur la structure des professions juridiques ;
(2) le rôle des juristes dans la diffusion de dynamiques actuelles de globalisation du droit et l’impact de celles-ci sur les secteurs et pratiques juridiques sur le continent ;
(3) l’évolution historique des professions juridiques, et
(4) les rapports entre juristes, sociétés et dynamiques de contestation du pouvoir.

1. Le premier axe s’intéresse à l’impact des héritages coloniaux sur la structure des professions juridiques et, plus largement, aux rôles joués
par les juristes dans la trajectoire contemporaine des États africains. Malgré l’importance centrale des juristes en tant qu’ « interprètes
autorisés » du droit et intermédiaires dans les politiques coloniales, leurs spécificités en tant qu’agents de l’État et professionnels ont été
peu explorées dans la littérature historique et anthropologique. Il semble utile de renouveler ces travaux et d’élargir leur focale analytique en
engageant un dialogue avec la littérature consacrée plus largement au droit dans l’Afrique coloniale et contemporaine. Il serait opportun pour cela de
contribuer à une analyse empirique systématique des différents régimes coloniaux africains et de leurs rapports à a) la structure des champs
juridiques et b) au rôle des juristes dans la construction et la contestation de l’État et de sa légitimité. Y a–t-il une corrélation entre
les différents pouvoirs coloniaux (français, britannique, belge ou encore portugais) et la structuration des espaces juridiques des post-colonies ?
Par ailleurs, quel a été l’impact de la nature du pouvoir colonial et de ses transformations sur la structure des ordres et professions juridiques ?
Quels ont été les effets des spécificités des systèmes juridiques coloniaux sur la trajectoire postcoloniale des États africains ? Les professions
juridiques ont-elles vu leurs rôles redéfinis par rapport au politique et à l’égard des sociétés ? Si oui, comment ces glissements ont-ils été opérés
et légitimés ?

2. Le deuxième axe met l’accent sur le rôle des juristes et la transformation des pratiques, institutions et systèmes juridiques dans
certains processus actuels de « juridicisation », en particulier la diffusion au niveau local de processus de globalisation du droit. La
promotion de l’État de droit et de la démocratie comme lingua franca de la « bonne gouvernance » depuis les années 1990 ou encore les dynamiques
actuelles de criminalisation des violences d’État et armées via la Cour pénale internationale sont autant d’exemples d’une juridicisation du politique entendue comme déplacement vers le droit d’enjeux et de luttes politiques et sociaux. Les nombreux travaux consacrés notamment à la diffusion de nouvelles normes globales contribuent cependant largement à un double point aveugle que cet axe invite à combler. Peu de travaux étudient, par exemple, l’impact sur les professions et systèmes juridiques africains de l’incorporation du droit pénal international au niveau national et des
procédures de poursuites pour crimes internationaux  (voir Nouwen, 2013, pour une exception). Les travaux portant sur les poursuites pénales
internationales elles-mêmes, notamment via une ethnographie de procès, pourraient être bienvenues afin de contribuer à une compréhension des
effets politiques, sociaux et juridiques, au niveau local, des récits judiciaires produits par ces arènes pénales. Surtout, cet axe entend souligner que la compréhension de ces processus de juridicisation implique d’étudier le rôle des juristes, notamment via l’ouverture d’espaces de pratiques et d’expertises juridiques nouveaux. Les thèmes et travaux empiriques pouvant participer de cet axe restent largement ouverts. Par exemple, la nouvelle « ruée vers l’Afrique » dans la compétition globale pour les minerais et autres ressources naturelles s’est accompagnée de la multiplication d’arènes juridiques, et particulièrement l’arbitrage, pour gérer les différents commerciaux. Quel est l’impact de cette dynamique sur les professions juridiques ? Surtout, comment ces dynamiques concurrentes de globalisation du droit – droit pénal international et arbitrage commercial – sont-elles articulées ?

3. Troisièmement, la littérature sur les professions (y compris les professions juridiques) a dépassé de manière opportune les apories d’une perspective fonctionnaliste et de l’apologie des « vertus des communautés professionnelles ». Certains travaux récents ont ainsi souligné
l’historicité des professions juridiques et leur structuration sous l’effet des rapports de force politiques, économiques et savants participant de la
construction et de la légitimation du pouvoir (Gobe, 2013 ; Dezalay & Garth, 2011 ; voir également Bourdieu, 2012). Certaines recherches
consacrées particulièrement à d’anciennes colonies francophones ont aussi souligné les transformations de l’« international » en tant que ressource
pour contester le pouvoir (Siméant, 2013) et l’impact de processus d’internationalisation et de professionnalisation sur des professions et institutions juridiques modelées par un héritage colonial et postcolonial de « lawfare » (Dezalay, 2013). Plusieurs pistes d’analyse peuvent être ainsi ouvertes, en s’attachant par exemple à  l’évolution des professions juridiques et de leur structuration dans différents contextes coloniaux et postcoloniaux ; aux transformations de l’éducation juridique ; ou encore à l’impact de dynamiques de juridicisation globales sur les professions et institutions juridiques.

4. Notre quatrième axe porte sur la nature des interactions entre juristes et sociétés et leur impact politique et socio-culturel. Pour rendre compte
de la tendance croissante du recours au droit, au niveau individuel ou collectif, pour exprimer et porter des revendications sociales et politiques, il paraît opportun de s’intéresser aux rapports entre les juristes et leurs clientèles, et plus largement avec la société. En considérant les juristes en tant qu’intermédiaires de « traduction » (Merry, 2006) – à la fois diffuseurs de concepts et interprètes – plusieurs pistes empiriques peuvent être ouvertes pour étudier ces interactions entre juristes et société. Comment les professions juridiques sont-elles perçues ? Quelles ont été leurs stratégies de « traduction » ? Avec quelles limites ? Les juristes ont-ils contribué à des projets politiques et culturels spécifiques et à quelles fins ? Cet axe vise aussi à explorer les relations entre juristes, « mouvements sociaux » et dynamiques protestataires (Agrikoliansky, 2010). Par exemple, quel a été le rôle des juristes dans les révolutions des « printemps arabes », en Afrique du Nord, et avec quelles répercussions en Afrique subsaharienne ? Par ailleurs, au-delà d’une opposition entre « démocraties » et régimes « autoritaires » (Abel, 1998), quels sont les facteurs, opportunités et capacités permettant à des mouvements sociaux de « saisir le droit » ?

Calendrier

Les propositions de contribution (une page) sont à envoyer aux coordinateurs, Sara Dezalay (sara.dezalay@gmail.com) et George H.
Karekwaivanane (ghk22@cam.ac.uk), d’ici le 13 juin 2014. Les articles retenus (d’ici le 2 juillet 2014) devront être remis aux coordinateurs au
plus tard le 30 octobre 2014 pour évaluation par la rédaction de la revue. Date de publication du dossier, composé des articles acceptés par la
rédaction : juin 2015.

Références citées

R. Abel, « Speaking law to power. Occasions for cause lawyering », in A. Sarat, S.-A. Scheingold (dir.), Cause Lawyering. Political Commitments and
Professional Responsibilities, Oxford, Oxford University Press, 1998.
E. Agrikoliansky, « Les usages protestataires du droit », in E. Agrikoliansky et al., Penser les mouvements sociaux, Paris, La Découverte «
Recherches », 2010, p. 225-243.
J.-F. Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, n° 5, 1999, p. 97-120.
L. Benton et R. Ross (dir.), Legal pluralism and Empires, 1500-1850, New York, New York University Press, 2013.
L. Benton, Law and colonial cultures. Legal regimes in World history, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.
P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, Le Seuil, 2012.
J. Comaroff et J. Comaroff (dir.), Law and Disorder in the Postcolony, Chicago, University of Chicago Press, 2006.
J. L. Comaroff, « Colonialism, Culture, and the Law: A Foreword », Law and Social Inquiry, vol. 26, n° 2, printemps 2001, p. 305-314.
S. Dezalay, « Between lawfare and extraversion. The structuration of the legal field in Burundi under the prism of the articulation between
international and national markets of legal expertise », Atelier de travail ‘Professions juridiques et leur internationalisation dans les dispositifs
de paix’, Programme IRENE sur les professionnels internationaux de la paix, Institut des Sciences sociales du Politique – CNRS / Université Paris Ouest Nanterre, décembre 2013.
Y. Dezalay and B. G. Garth, Asian Legal Revivals: Lawyers in the Shadow of Empire, Chicago, University of Chicago Press, 2010.
Y. Dezalay and B. G. Garth, « State Politics and Legal Markets », Comparative Sociology, 10, 2011, p. 38–66.
E. Gobe, Les avocats en Tunisie de la colonisation à la révolution (1883-2011). Sociohistoire d’une profession politique, Paris,
IRMC-Karthala, 2013.
T. Halliday, L. Karpik, M. M. feeley (dir.), Fates of Political Liberalism in the British Post-Colony. The Politics of the Legal Complex, Cambridge,
Cambridge University Press, 2012.
B. Ibhawoh, Imperial Justice. Africans in Empire’s Court, Oxford, Oxford University Press, 2013.
S.E. Merry, « Transnational Human Rights and Local Activism: mapping the middle », American Anthropologist vol. 108, n°1, 2006, p.  38-51.
S. Nouwen, Complementarity in the Line of Fire. The Catalysing Effect of the International Criminal Court in Uganda and Sudan, Cambridge University Press, 2014.
K. Sikkink, The justice cascade: how human rights prosecutions are changing world politics, The Norton Series in World Politics, 2011.
J. Siméant, « Committing to Internationalisation: Careers of African Participants at the World Social Forum », Social Movement Studies, vol. 12,
n° 3, 2013, p. 245-263.

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