déc 16, 2013

Vient de paraitre – Arjun Appadurai – Condition de l’homme global

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Arjun Appadurai : Condition de l’homme global (Payot)

C’est à la fois un ouvrage d’anthropologie de la mondialisation et une réflexion sur la manière dont celle-ci a modifié la donne et les conditions du savoir anthropologique lui-même. Le titre est évidemment un clin d’œil à La Condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt où elle s’emploie à réhabiliter la vita activa – l’action – que la tradition philosophique reléguait derrière la vita contemplativa. L’auteur, Indien d’origine et professeur à New York, a d’ailleurs activement participé à deux projets à Bombay dont il livre ici une lecture anthropologique : le premier aux côtés d’un mouvement de militants pour le droit au logement qui luttent contre l’avancée des bidonvilles, le deuxième qui vise à rendre accessible le monde de la recherche à des jeunes restés en marge du système éducatif dans le but de penser les conditions concrètes, architecturales notamment et dans l’optique d’un développement durable, d’un meilleur futur urbain. Dans les deux cas l’enquête met en valeur les atouts et les rêves de ces populations pauvres, qui se transforment ici en stratégies, donnant corps à ce que l’anthropologue appelle la « politique de possibilité », par opposition à la politique de probabilité, à l’ère de la mondialisation.

Si le titre de son livre est une référence explicite à Hannah Arendt, c’est plutôt chez Max Weber qu’Appadurai puise ses références pour penser à nouveaux frais la question du développement, de la finance et de la spéculation dans une perspective comparatiste. C’est dans le cadre de cette affinité spéculative qu’il pose les fondements d’une anthropologie de l’avenir. Dans la foulée des recherches qui s’engagent aujourd’hui de plus en plus souvent sur des terrains contemporains, comme l’ethnographie de la science ou de la technologie, de l’État, des marchés ou de la finance, il a enquêté sur les phénomènes migratoires ou la médecine dans le contexte de la mondialisation. L’anthropologie, traditionnellement vouée à l’étude des cultures du passé, ou en tous cas préservées de la modernité, à leurs structures et coutumes, ne doit pas seulement, selon lui, se tourner vers les diverses manières « dont les sociétés humaines organisent l’avenir comme un horizon culturel », en quoi elle reste limitée – je cite « à la logique de la reproduction, à la puissance de la coutume, à la dynamique de la mémoire, à la persistance de l’habitus, au mouvement figé du quotidien et à la ruse de la tradition dans la vie sociale, y compris chez les communautés les plus modernes, celles par exemple des scientifiques, des réfugiés, des migrants, des évangélistes et des stars du cinéma ». Elle doit s’attacher désormais, pour construire une compréhension du futur, à l’étude des interactions entre les trois aptitudes humaines qui modèlent l’avenir comme un fait culturel : l’imagination, l’anticipation et l’aspiration.

C’est dans ce cadre que prend place son concept de « politique de possibilité », qui s’oppose à « l’éthique de probabilité ». Dans ce contexte, l’anthropologie ne peut ignorer l’économie, le domaine de la probabilité. Appadurai se réfère notamment aux travaux d’Ulrich Beck sur la société du risque et à ceux de l’économiste Frank Knight. L’intérêt de ce dernier, notamment, pour le risque et l’incertitude a orienté l’économie moderne vers la modélisation mathématique du risque et depuis lors l’explosion des modèles de risque a encouragé – je cite « un confortable trafic entre la modélisation et l’exploitation du risque à des fins de profit sur les marchés financiers. Cette perte d’acuité critique dans l’économie classique a une responsabilité non négligeable dans les impitoyables pratiques financières qui ont provoqué le récent effondrement mondial » ajoute-t-il. L’autre problème évoqué par l’anthropologue, c’est que cette économie mondialisée ne se limite pas au marché largement virtuel de la finance. Je cite encore : « ce sont aussi les fluctuations interconnectées des marchés de matières premières comme l’or, le thon rouge, les tulipes ou les terres rares qui font dépendre la sort de mineurs, de pêcheurs, de fermiers et de petits courtiers des stratégies de gestion macrorisque des banques, des États et des multinationales ».
Jacques Munier

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